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III - Mariage sous les feuilles de l'automne

Dernière mise à jour : 2 janv. 2020


A la fin du mois d’octobre, le 27 octobre de l’année 1895 très précisément, le son des cloches résonna dans les environs de Mirac-en-Vilaine et se fit entendre jusqu’au plus reculé de ses hameaux, alertant toute créature vivante qui se trouvait par ici, des gerbilles aux hommes reculés dans les forêts de Bretagne.

Chacun, des enfants aux vieillards, savait ce que ce tintement joyeux signifiait et même les inconnus se réjouissait de savoir qu’on célébrait alors les noces de jeunes mariés, et de l’annonce des naissances qui suivraient cette union.


L'église de Mirac-en-Vilaine était, à n’en pas douter, le point névralgique de la vie de la commune. Baptêmes, mariages, funérailles et noces rythmaient la vie des habitants et chacun se plaisait à s'y retrouver les dimanches, pour la messe dominicale.


Ce jour là, un grand nombre de Miracois se retrouva sous le plafond de la nef. Hommes silencieux et l’air concentré, femmes qui murmuraient les dernières rumeurs entendues et répandues, enfants qui tâchaient de se donner un air plus grand : tous attendaient que n’entre, pas la porte de l’église, la mariée de ce jour.


L’on entendit les lourdes portes en bois s’ouvrir, gratter le sol dans un bruit sourd, et le son des pas qui gravissaient les marches pour entrer dans la nef et défiler sous les yeux admiratifs des Miracois.

Prudence Beriot s’avança au bras de son père, avec une allure assurée qui collait à son rang, mêlée d'une timidité toute féminine. Elle portait un voile qu’avait portée sa mère avant elle, et une robe de très bonne facture qu’aucune couturière n’aurait prétendu pouvoir coudre.

Assurément, Prudence fit une très grande impression sur l’audience présente.


On songea qu'elle était devenue une très belle femme, qu'elle avait un corps en pleine santé, qu'elle donnerait de beaux enfants et ferait une bonne épouse.


Prudence ne se sentait pas vraiment à son aise devant tous ces gens qui la regardaient et dans ce corsage qui l’étouffait un peu. Elle n’avait jamais aimé être le sens de l’attention et s’évertuait toujours à se faire discrète et modeste - dans ses comportements comme dans ses tenues.

Elle sentait les appréciations de l'assistance peser sur elle, son corps tremblé, et elle se demanda si c'était là ce que ressentaient les bêtes lorsqu'on jugeait de leur prix à la foire.


Ainsi engoncée dans son corset et dans la pression des regards appuyés qu'on lui destinait, il lui sembla que la traversée jusqu’à l’autel dura une heure, et elle risqua un regard à son père : lui-même avait les yeux posés sur elle, et elle les vit emplis d’une joie sincère qui l’étonna. Le village tout entier supposait que Charles-Louis acceptait de donner sa fille à Léonard pour céder à son caprice, mais elle se doutait que son père avait compris que ce mariage était la source de son bonheur.

Vingt ans plus tôt, lui-même s’était marié par amour à la mère de Prudence.


La jeune femme se senti ragaillardie par ses pensée et laissa enfin dériver ses yeux jusqu’à celui qui allait être son époux.

Elle eut un frisson.


Léonard attendait sa promise avec un sourire qu’on lui avait rarement vu, lui qui était habituellement si correct et bien tenu. Il n’avait pas souhaité porter le costume de son père mais en avait acheté un en ville avant même de revenir au village, et il avait presque l’air d’un gentilhomme.

Lui ne ressentait aucune gêne et aucun inconfort ; il se sentait tout-puissant devant l’hôtel et le prêtre qui allait bientôt l’unir à Prudence : et la voir s’approcher, gracieuse et digne, lui faisait dresser les poils sur tout le corps.


Leurs mains se frôlèrent avec la fébrilité des premières fois et Prudence sentit la grande main de Léonard saisir la sienne un peu plus distinctement. Elle voyait dans ses yeux brûler le désir de la faire sienne et elle adora cette idée, sentant tout son corps trembler alors que son pouce caressait tendrement le côté de sa main.

Elle oublia les regards et les pensées extérieures, regarda encore cet homme à qui elle se donnait corps et âmes sans aucune hésitation, et songea que c'était sans aucun doute le premier et plus grand jour d'une vie de bonheur.


Leurs doigts enroulés entre eux, fébriles, les deux jeunes gens encore transis d’amour eurent cette impression d’être seuls au monde que l’on avait que lorsqu'on s’aimait avec passion ; si bien qu’ils en oublièrent presque les paroles du prêtre qui demandait leur consentement et signait leur union.




Leurs deux corps bouillonnaient de joie et d’impatience : Léonard y avait si peu cru que tout lui semblait irréel et que sa peur de perdre Prudence, qui lui tordait les entrailles, lui donnait envie de la prendre contre lui pour ne jamais la lâcher - au diable la pudeur. Il se retint pourtant fermement, se permettant seulement une caresse sur sa joue.

Enfin, il fut temps d’échanger leurs alliances et Léonie profita du froid de la bague qui glissait sur son doigt comme d’un ultime instant de bonheur ; et vint le moment d’échanger un baiser qui se voulait chaste mais que les jeunes gens rendirent un peu plus intimes qu’ils ne l’auraient dû, faisant maugréer les anciennes les plus prudes.



La sortie de l’église se fit en trombe après toutes les promesses de fidélité et de procréation qu’ils étaient tenus de faire, et les cloches raisonnèrent à nouveaux entre les murs de Mirac-en-Vilaine. On salua les nouveaux mariés en grandes pompes, on lança du riz et des pétales et on leur souhaita tout le bonheur du monde.

Aucun d’eux ne fut capable de lâcher l’autre, craignant qu’un jaloux ne vienne rompre leur union, croyant encore à peine que ce jour était bien arrivé ; après quatre longues années d’attentes où ils ne s’étaient presque jamais vus.

Les voilà qui étaient unis dans l’amour et sous le regard de Dieu.


L’on se félicita longuement - les mariés et les pères, les proches amis et les presque inconnus, et l’on prit rapidement la direction du repas de noces aux couleurs de l’automne. La mère de Léonard, sa sœur et d’autres femmes du village s’étaient attelés à la préparation des plats avec beaucoup d’acharnement, et chacun le dégusta avec un appétit vorace, dans une bonne-humeur un peu grivoise qu’on ne trouvait que dans les mariages de campagne.

Les mariages étaient une occasion unique de se retrouver et de s'amuser : on aimait y faire la fête jusqu'au levé du prochain soleil et y oublier, un peu, les difficultés que la vie et la terre pouvait apporter.


On parla des dernières nouvelles, des récoltes et de l’actualité politique qu’on se vantait de comprendre. Léonard et Prudence passèrent ces longues heures à se regarder, ne répondant que vaguement aux paroles qu’on leur adressait et attirant les moqueries sympathiques des anciens.



Ils ouvrirent le bal alors que le soleil se couchait déjà sur la colline, et savourèrent cette danse comme ils avaient savouré la première de toutes, alors que Léonard était tombé en amour de ses longs cheveux blonds et de son regard plein de bonté.

Ils profitèrent longuement de la fête, virevoltant et tournoyant jusqu’à s’épuiser, tous deux un peu éméchés par le repas et ses breuvages, plein d’espoirs quant aux années à venir qui s’annonçaient merveilleuses.

Bientôt, pourtant, quoi que ce fut tard dans la nuit, les invités s'essoufflèrent et il fallut se rendre à l’évidence : la fête était terminée.




La danse, elle, continua longtemps après le mariage.

Léonard avait obtenu l’Arrête comme le lui avait promis le père Beriot. C’est ainsi que, le jour même de leur mariage, les deux époux purent emménager dans leur demeure.

Prudence regretta un peu le confort de sa maison de village - elle craignait le sol poussiéreux et l’absence d’autres chambres que la leur, mais le simple fait de savoir que cette demeure était celle de leur amour suffit à la contenter ; et ils dansèrent encore une partie de la nuit, et le lendemain, et le sûr-lendemain, comme dansent les jeunes gens qui profite des beaux jours de l’amour.






La première nuit, la danse les mena jusqu’à la chambre nuptiale que Léonard avait modestement meublée. Leurs mains s’enlacèrent encore, un peu différemment des fois précédentes, tentant de transmettre à l’autre tout le désir qui montait en eux.

Jamais Prudence et Léonard n’avaient consommé leur union avant ce jour. Ils avaient hésité, caressé, approché, mais jamais ils n’avaient fauté. C’était principalement parce que Prudence était très pieuse et que Léonard la respectait bien trop pour oser manquer de respect à sa pureté.


Ce soir là, enfin, ils purent s’abandonner l’un à l’autre avec toute la maladresse due à leur jeune âge, et furent rassasié d’enfin pouvoir s’aimer. Prudence se trouva rassurée en constatant que son époux n’avait sans doutes jamais cherché à se faire de l’expérience dans un autre lit, et lui-même se délecta du sang qui coula sur les draps, venant confirmer que Prudence lui appartenait toute entière.


Leur mariage consommé, Prudence s’endormi bien vite dans les bras de son aimé, et lui resta un long moment à regarder la lumière de la lampe à huile jouer sur sa peau, désireux d’ancrer cette image à jamais dans son esprit.




Le soleil se leva finalement sur l’Arrête, forçant les époux à quitter le confort de l’intimité de la chambre nuptiale pour se livrer aux premières activités de leur nouvelle vie.

Léonard investit rapidement l’annexe de la maison qu’il avait transformé en cabinet de campagne. Il tria d’importants documents et mis en place divers ustensiles pendant une grande partie de la mâtiné puis s’évertua à mettre en page un carnet qu’il réserva à ses comptes et à sa clientèle.


Prudence, elle, se dirigea vers la cuisine aussitôt qu’elle fut habillée.

Elle pouvait se vanter d’être meilleure cuisinière que certaines de ses amies de la petite bourgeoisie car, avec la mort de sa mère, elle avait dû apprendre à cuisiner elle-même pour son père et ses frères. Les Beriot n’avaient jamais été de ceux qui prenaient du personnel pour tenir leur maisonnée - c’était une question de fierté, une véritable philosophie de vie.

Elle en remerciait aujourd’hui son père car, sans cette éducation, elle aurait peut-être rechigné à mettre la main à la pâte.


Prudence avait appris que les choses de la vie se méritaient - les bonnes comme les mauvaises. Elle voyait tous les efforts de son mari pour leur construire un foyer chaleureux et lui offrir un bon mariage : il aurait bien pu prendre un poste en ville et la laisser ici, mais avait préféré le dur labeur et les sacrifices pour être prêt d’elle. Elle souhaitait se montrer digne de lui, peu lui importait alors de devoir se salir et de s’occuper des bêtes.



Finalement, Prudence fut surprise de voir que la journée passait bien vite lorsqu’on était occupée, et elle se trouva en fin d’après midi toute lessivée mais bien fière de son labeur, à contempler le soleil qu’elle trouva particulièrement réconfortant.

Elle songea qu’il faudrait bientôt tricoter des pulls et réparer les vêtements d’hiver avant qu’il ne fasse trop froid, et fut fière de cette pensée qu’elle trouva digne d’une épouse dévouée.

Absorbée par sa contemplation, elle entendit à peine les pas de son mari qui approchait derrière elle.


Léonard posa fermement ses mains sur ses hanches, glissant sa bouche à son oreille pour lui murmurer quelques mots doux.


“A quoi pensais-tu ?

- A nous et à l’avenir qui se profile.

- Te voilà bien poétique.

- Je suis simplement heureuse. Je suis ta femme et la maîtresse de ta maison ; cela me rend heureuse.”


Elle profita encore de la chaleur de ses bras et voulut le retenir dehors encore un peu, parce qu’elle aimait le romantisme qu’offrait le couché du soleil.


Finalement, après d’autres mots doux et taquineries adolescentes, il vint poser ses lèvres sur les siennes dans un baiser intime qui rappelait leurs seize ans.


Et Prudence songea que oui, l’amour durerait toujours.


 
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