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II - Trouver et retrouver

Dernière mise à jour : 2 janv. 2020


A Mirac-en-Vilaine, les feuilles avaient revêtu leurs habits d’automnes et la vallée tout entière semblait avoir pris feu. Les animaux les plus petits faisaient leurs réserves et chaque être vivant, des plantes aux animaux et jusqu'aux hommes, se préparaient au lourd sommeil de l’hiver.

Ainsi, à la ferme des Cossart, personne ne lésinait sur les tâches.


Les Cossart vivaient principalement des récoltes et du miel qu’ils étaient les seuls à produire. Si besoin était, ils pouvaient arrondir les fins d’années avec les œufs de leurs poules qu’ils réservaient habituellement à leur consommation personnelle.

Une telle entreprise demandait beaucoup d’énergies à faire tourner et, comme c’était souvent le cas dans les foyers de campagne, chacun mettait la main à la patte.

Auguste Cossart avait longtemps rêvé d'une autre vie pour ses enfants ; la faute à tous ces fils partis vivre en ville, dont certains revenaient enrichis, et dont les autres qui finissaient sans le sou ne faisaient plus parler d'eux, laissant planer tous les fantasmes.


C'était peut-être parce qu'elle y était née, mais Eugénie aimait sa terre comme elle aimait sa famille et tous les travaux qu'elle accomplissaient, elle les accomplissaient avec ferveur et reconnaissance envers Dieu. On ne pouvait pas dire que sa vie n'était pas difficile, mais elle avait l’ignorance et le contentement de ceux qui n'avaient rien connu d'autre.

Voir son fils revenir au pays pour s'y installer avait été l'une des plus grandes joies de sa vie. Depuis que Léonard était rentré, les femmes de la maison étaient guillerettes et chantonnaient parfois un petit air familier.


Depuis qu'il était rentré, Léonard avait été un garçon bien occupé.

On ne s'installait nul part sans effort, même lorsqu'on y avait passé son enfance. Léonard aurait très bien pu s'installer chez ses parents ou louer une pièce de l'auberge pour exercer mais, par fierté et par désir de mériter sa Prudence, il tenait à lui offrir une maison décente. Il craignait toujours de voir le père Beriot lui voir refuser la main de sa fille.


Mirac-en-Vilaine n'avait jamais connu de médecin. Pont-Armac, situé à une demi-journée de marche de la commune, avait eu un officier de santé que personne n'avait jamais voulu appeler car il avait fort mauvaise réputation.

Léonard s'était donc tourné vers la bâtisse des Marrot, dont il savait qu'elle était à louer depuis que le père Marot était mort et que sa veuve partait vivre chez son frère avec ses enfants.

C'était la veuve qui l'avait abordé au marcher, la veille, lorsqu'il cherchait à se renseigner sur les locaux qu'on vendait ou louait.



L'Arête avait longtemps fait rêvé Léonard et les enfants de Mirac-en-Vilaine.

C'était une belle maison qui surplombait le village du haut de sa colline et qui était bien visible depuis le chemin de l'école. Comme les Marrot étaient des gens bourrus et un peu distants, la demeure avait suscité une certaine curiosité et l'imagination de beaucoup d'enfants s'était emballée.


Léonard avait été enchanté d'apprendre que les Marrot louaient la propriété. C'était tout à fait l'image qu'il s'était fait d'une maison de médecin, et il la savait suffisamment proche du village pour faciliter ses tournées à venir. Il tenait aussi à ce que sa promise ne se sente pas trop isolée de la vie de la commune, elle qui avait vécu toute son existence à quelques pas de la place centrale.


S'il ne s'agissait là que d'une location, il espérait à moyen terme pouvoir racheter la maison et ses terres pour faire un héritage à ses enfants et s'assurer une certaine tranquillité.


Ce fut le fils aîné, Pierre Marrot, qui le reçu. Léonard n'avait pas beaucoup connu Pierre en raison des années qui les séparaient, et ses seuls souvenirs du jeune homme étaient ceux d'un enfant potelé qui courrait derrière les plus grands du village pour jouer avec eux.

Léonard se sentit tout drôle lorsque, serrant la main de Pierre, il réalisa que ce dernier était fait chef de famille depuis la mort de son père. Il se revit lui-même à seize ans et songea qu'il fallait de solides épaules pour être à sa place. Bien que plus âgé, il se sentit un petit peu intimidé par le jeune homme qui lui faisait face, droit et fier, tout désireux de porter les intérêts de sa famille. Probablement qu'il aurait été plus facile de faire affaire avec le père qu'avec le fils, tant celui-ci avait l'envie de bien faire.

Il prit une grande inspiration.


" Alors, Cossart, la mère a dit que tu voulais louer l'Arête ! C'est qu'tu vas te marier, à c'qu'on dit ? "


Gêné - il n'avait revu ni Prudence ni son père depuis son retour, et il se sentait en situation bien délicate, Léonard acquiesça un peu plus froidement qu'il ne l'aurait voulu.


Pierre et Léonard firent un petit tour de la propriété en discutant affaire et argent.

Il s'agissait de négocier le prix d'un loyer, les garanties d'être payé en temps et en heure, et la vente du cheval du père Marrot que Léonard tenait farouchement à obtenir et dont il savait que le fils n'aurait pas d'utilité.


" Je n'sais pas, concéda Pierre au bout une discussion qui semblait finalement tourner en rond.

- Enfin, tu sais que ni l'père ni moi n'avons jamais manqué à une promesse.

- C'est pas ça, c'est pas ça... c'est pas contre vous, Cossart.

- Beriot te fera pourtant une bonne garantie.

- Beriot t'a même pas encore donné la Prudence, Cossart, faut y pas mettre la charrue avant les bœufs... "


Pierre Marrot lui parlait avec gêne et retenue, comme s'il se méfiait de lui. C'était comme si son absence l'avait défait de la confiance qu'on apportait systématiquement aux gens du village. Son diplôme faisait-il donc de lui un étranger ?


Ni le titre de Docteur, ni la réputation honnête du père Cossart ou l'argent du père Beriot ne semblaient faire plier Marrot. Il n'était vraisemblablement pas enclin à céder l'Arête à Léonard. Ce dernier songea qu'une promesse de mariage ne suffirait pas à louer une maison et que la promesse d'une maison ne suffirait pas à conclure un mariage. Tout à coup extrêmement découragé, il songea avec amertume à l'avertissement que lui avait donné son père.

Il eût envie de s'énerver et d'abandonner tout à la fois : "Mais c'est moi, criait-il en son fort intérieur, Léonard Cossart, moi qui suis venu une année pour couper du bois durant la convalescence de ton père, moi qui t'ai fait croire que les grenouilles pouvaient mordre les hommes lorsque nous étions enfants !".

Rien à faire ; Marrot voyait en lui un étranger et on ne louait pas à un étranger.

Il se sentait entièrement dépossédé de tout ce qui faisait de lui un homme honnête et respectable, mais surtout, et pire que tout, renié dans son identité d'enfant de Mirac-en-Vilaine.

On ne trouvait pas aisément une place dans une commune ; mais il semblait plus difficile encore d'en retrouver une.


Sans doutes parce qu'il était jeune, et que lui-même n'était pas d'une nature envieuse, Léonard s'était imaginé que Mirac-en-Vilaine l'accueillerait avec fierté et en héros. Jamais un enfant de la commune n'était devenu médecin ou quelque titre semblable, et il avait tant vu d'estime dans les yeux de sa famille et de son professeur qu'il avait pensé que chacun partagerait ce sentiment.

La vérité, c'était que le sort du fils prodige des Cossart suscitait beaucoup d’incompréhension et de jalousie. Mirac-en-Vilaine était un petit village rural où l'obligation scolaire n'était respectée qu'au gré des besoins familiaux. On y rêvait pas d'argent ou de diplôme, seulement de bêtes et de récoltes. La vue depuis les champs était limitée et ce qui sortait de l'habitude devenait tout à coup effrayant.

On se méfiait de lui. On avait l'impression de ne plus le reconnaître.


C'était là les pensées de Léonard alors qu'il redescendait au village, la mort dans l'âme. Pierre Marrot avait promis de parler à son oncle, mais il n'y croyait guère. Il n'avait rien à offrir ni à Prudence ni à son père sinon son diplôme auquel il ne voyait plus de valeur.


Une fine pluie s'était mise à tomber lorsque Léonard parvint sur la place de Mirac-en-Vilaine. Il avait prévu de rendre visiter au père Beriot en vainqueur, avec toutes ses promesses tenues. Désormais, c'était à peine s'il osait encore se présenter.

Peut-être même serait-il rentré chez lui s'il n'avait pas relevé la tête du sol à cet instant précis, croisant les yeux pour lesquels il s'était jusque là tellement battu.

Prudence était là, assise sur la fontaine.


Il y eut un court instant où, de loin, leurs yeux se croisèrent.

Chaque fois qu'ils s'étaient revus durant les quatre années qui s'étaient écoulées, Léonard avait senti cette même chaleur irradier son ventre puis l'ensemble de sa poitrine. Chaque fois, ils s'étaient précipités l'un vers l'autre pour savourer ces courtes retrouvailles, déjà déchirés à l'idée de se séparer.

Pourtant, cette fois, tout était différent. Plus de séparation, plus de larmes ou de promesses renouvelées avec espoir. Cette fois, Léonard revenait pour toujours.

Il se sentit hésiter, prêt à reculer.


Finalement, tous deux se tombèrent dans les bras.



Adieu les craintes, adieu les appréhensions. Tant pis pour la maison. Tant pis pour le père Beriot.

Il sembla à Léonard que l'étreinte dura à la fois une éternité et un bref instant, trop courte et trop longue, trop dure et trop douce. Il s'en trouva avec les yeux tout embrumés et tâcha de les essuyer avant de s'autoriser, enfin, à vraiment regarder Prudence.


" Es-tu bien revenu, Léonard ?, murmura Prudence en posant sa douce main sur le torse de celui qu'elle avait tant attendu. "


Comme il ne voulait pas qu'elle entende, que sa voix était brisée par l'émotion, il laissa planer un long silence durant lequel il profita de la chaleur de sa joue sous ses doigts. Il la sentait trembler, elle aussi, et il réalisa qu'il n'y avait plus rien autour d'eux lorsqu'il se trouvait si proche d'elle.

Non, tout n'a pas changé, songea Léonard. Auprès d'elle, j'ai encore ma place.


" Je suis bien revenu, ma Prudence. Revenu pour ne plus partir, revenu pour faire de toi mon épouse. "

Il se rapprocha encore un peu d'elle, sentant leurs genoux se frôler et tâchant de camoufler ses frissons, les mains solidement posés sur ses épaules pour la garder près de lui. Il sentit que Prudence brûlait d'envie de s'abandonner contre lui, mais elle gardait une certaine réserve ;


" Léonard, nous sommes ici à la vue de tous...

- Il n'y a que nous... "




" Je ne saurais dire combien tu m'as manqué.

- Je ne saurais non plus. Quatre ans sans toi, c'est comme l'éternité en enfer.

- Promet de ne plus jamais me laisser.

- Je te le jure comme je te jurerai tout ce que tu voudras. "




Léonard aurait aimé rester encore longtemps ainsi, à tenir sa Prudence dans les bras et à lui murmurer des mots doux entre deux baisers ; mais il vit le père Beriot qui les observait de loin et, gêné d'avoir été surpris en pleines retrouvailles, il se détacha de Prudence en adoptant un air le plus neutre possible.

La jeune femme lui repris délicatement le bras et ils firent ensemble face au père, dont Léonard n'aurait su décrypter l'émotion.


" Mon père peut être un homme froid et dur, murmura Prudence, mais c'est un homme de bon sens et il sait voir la valeur de ceux qui se trouvent en face de lui. Il ne te refusera pas ma main, va sans crainte. "


Le jeune homme rejoint Charles-Louis Beriot, et les deux hommes allèrent marcher un peu plus loin dans les rues du village, sans un mot de plus.

Il aurait été mentir de dire que Léonard n'était pas nerveux ; mais heureusement, retrouver Prudence avait effacé les angoisses que l'entrevue avec Pierre Marrot avait un instant ravivées. Le regard amoureux de la jeune femme lui avait rendu toute sa légitimité.



" Alors, Léonard, comment se passe ton retour parmi nous ?

- Fort bien, monsieur. J'ai un temps aidé mon père à ses travaux cette semaine, et j'ai trouvé le temps de me mettre en quête d'une maison et d'un cabinet où exercer.

- Vraiment ? N'aurais-tu point été mieux loti à la ville, mon garçon ?

- Peut-être dites-vous vrai, mais c'est qu'on m'attendait ici.

- Nous entrons dans le vif du sujet, alors. Tu n'es pas venu me parler de tes études ou de ton retour, pardi. "


Léonard ne parvenait pas à savoir si Beriot était ennuyé ou satisfait.

" Alors parle, tant que j'écoutes. "


Pour la deuxième fois de la journée, Léonard pris une grande inspiration.


" Il était convenu que si je parvenais à décrocher mon diplôme de docteur, et que si personne d'autre n'avait pris votre fille, vous me donneriez sa main. J'ai honoré ma part du marcher, monsieur, et je viens réclamer ce qui m'es dû. "


" Tu penses que tu serais donc un bon époux pour la Prudence ?

- Je le pense, monsieur. Parce que vous savez que je suis un garçon honnête et droit. Ma situation est encore instable, mais vous la savez prometteuse. On m'a dit, monsieur, que Prudence avait refusé bien des avances et que vous aviez cédé à ses refus.

- On t'a dit vrai, soupira Beriot, tu n'imagines point comme il est difficile d'être le père d'une femme.

- Je saurai gagner assez pour nous faire bien vivre, monsieur, et je ne vous ferai pas honte. La dot de votre fille, j'en ferai mon usage pour faire fructifier cet argent. Si vous nous portez de l'aide un jour, je saurai vous en rendre le double. "


" Tu parles bien, garçon."


Charles-Louis s'était arrêté en plein milieu d'une rue déserte. Il faisait face à Léonard, impartial. Le jeune homme avait l'impression que Beriot pouvait le détruire d'un seul mort et faisait tous les efforts du monde pour ne pas trembler.


" Mais j'avais déjà trouvé le fin mot à cette histoire avant de te trouver enlacé à ma fille sur la place publique. Beriot ferma les yeux. On m'a dit que tu devais voir le fils Marrot pour louer l'Arête, t'as-t-il donné une réponse ?

- N-non, monsieur, bégaya Léonard, qui ne savait si l'issu lui était favorable. Il semblait fort réticent.

- Bien, alors j'irai lui parler en ta faveur. Tu auras ma fille dès que j'aurais discuté un peu avec ton père, garçon. "


 


 

L'Info : mais comment que c'était à l'époque ?
 

Je fais beaucoup de recherche pour écrire mon Decade, et je tombe toujours sur des infos intéressantes... ou complètement inutiles mais vraiment amusantes ! A chaque chapitre, je vous propose donc "L'Info" !

2. Le médecin de campagne

A l'époque et à la campagne, les médecins de campagne exercent rarement dans un cabinet mais plutôt chez eux ou à domicile. Ils louent ou achètent parfois un local au village mais reçoivent le plus souvent dans une pièce de leur logement.

Leur implantation est difficile car les habitants sont souvent superstitieux et préfèrent accorder leur confiance aux matrones ou aux guérisseurs en tout genre, dont la médecine n'est pas toujours efficace.

Pourtant, la méfiance envers les médecins de campagne est fondée : avec la découverte de nouveaux médicaments et le développement de la chirurgie, on utilise les nouvelles techniques à tout va et on tue parfois plus qu'on ne sauve.

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